Marcher par la foi

Marcher par la foi

Un mot peut décrire la population des basses terres de la Colombie-Britannique : diversité. On la goûte dans la nourriture, on l’entend dans les conversations et on la voit dans les visages partout chaque jour. Chaque visage témoigne du fait qu’un jour quelqu’un, quelque part a décidé de faire du Canada son lieu de résidence. Pour Vilynta Soram, la raison a été l’Église de Jésus‑Christ des Saints des Derniers Jours. Son appel à servir une mission l’a amenée de la petite île de Tonowas, une des quelque 200 îles de l’État de Chuuk de Micronésie jusqu’au Canada. Son visage ne révélait pas le caractère unique de sa situation, pas au Canada.

Ce récit ne commence pas dans son île natale, mais à l’aéroport international de Vancouver, le jour où sœur Soram a quitté le Canada pour retourner chez elle. Sœur Soram, comme 25 autres missionnaires qui retournaient à la maison ce jour-là, est sortie toute endormie de la navette de l’hôtel aux petites heures du matin. La veille, ces jeunes missionnaires affichaient force et exubérance, joie et nostalgie, réussite et satisfaction. Aujourd’hui, dans la froideur du petit matin, ils tremblaient, mais pas seulement à cause du froid. Ces missionnaires « mouraient ». C’est ce qu’ils disent lorsqu’ils terminent leur mission — « ils meurent ». Pour eux, le travail missionnaire est toute leur vie. Retourner à la maison, c’est la fin de cette vie — comme s’ils mouraient.

Sœur Soram est descendue de la navette la dernière. Elle a plissé les yeux à l’éclat de la lumière. Ses mains tremblaient comme si elle était atteinte de paralysie cérébrale. Elle souriait. Elder Hunter et moi-même, missionnaires d’âge mûr, avions été assignés ce jour-là pour accompagner les missionnaires à leur porte d’embarquement. Nous avons pris ses bagages et nous l’avons conduite, ainsi que les autres missionnaires partants, au guichet d’enregistrement. J’ai accompagné les missionnaires qui partaient pour les États‑Unis et Elder Hunter a conduit sœur Soram, toute petite et humble, au guichet des départs internationaux. Trente minutes plus tard, j’ai retrouvé Elder Hunter et sœur Soram là où je les avais laissés, ils étaient encore au guichet d’enregistrement. Elder Hunter parlait au téléphone. Malgré tous les efforts de sœur Soram pour ne pas pleurer, les larmes coulaient sur son visage. Inquiète, une préposée aux billets, les yeux pleins d’eau, offrit un mouchoir à sœur Soram et attendit. À travers ses sanglots et son anglais approximatif, elle m’a appris que son vol avait été annulé. Elder Hunter, mis en attente au téléphone par un agent de l’administration de l’Église à Salt Lake City, m’a expliqué qu’en raison de complications concernant son passeport, elle ne pourrait pas faire l’escale prévu à Guam où elle devait passer quatre jours avec sa sœur, aussi membre de l’Église. C’était aussi à cet endroit que son président de mission avait prévu la relever. Elder Hunter transmettait l’information de l’agent de voyage à l’administration de l’Église au préposé aux billets au comptoir. J’ai pris sœur Soram dans mes bras et je l’ai assurée que tout irait bien. J’ai prié pour qu’il en soit ainsi.
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Après beaucoup de pourparlers et d’efforts, un nouvel itinéraire compliqué a permis à sœur Soram d’obtenir le dernier siège disponible du vol qui partait bientôt pour Tokyo. Elle devrait voyager seule du Canada jusqu’à Tokyo, puis changer non seulement d’avion, mais aussi de compagnie aérienne dans un des aéroports les plus achalandés au monde. Elle se rendrait ensuite de Tokyo jusqu’à Guam où elle devrait attendre sept heures pour sa correspondance vers l’État de Chuuk avant d’embarquer sur un bateau qui la conduirait jusqu’à la petite île de Tonowas. Il y avait toutefois une restriction sur son billet indiquant qu’elle ne pouvait pas quitter la zone aéroportuaire à Guam. « Ça veut donc dire que je ne pourrai pas voir ma sœur?, dit-elle en pleurant. Et comment mes parents sauront-ils qu’il y a eu un changement d’itinéraire?, a-t-elle demandé? ». Elder Hunter a tenté de la rassurer en disant qu’il téléphonerait à ses parents. « Ils n’ont pas le téléphone et ils ne parlent pas anglais », a-t-elle expliqué. « Nous trouverons un moyen, a promis Elder Hunter. Nous communiquerons avec le président de mission et nous trouverons un moyen ». Nous avons pris les trois lourdes valises de sœur Soram et nous nous sommes rapidement dirigés vers la station de pesage. Le préposé qui s’y trouvait a jeté un coup d’œil au poids total et a lancé un regard interrogateur à la sympathique préposée aux billets. Les yeux pleins d’eau, la préposée n’a pas tenu compte du poids excédentaire des valises et nous a indiqué la porte d’embarquement. Sœur Soram n’avait que l’argent canadien que lui avait donné le bureau de la mission. Comme le temps pressait, Elder Hunter a échangé cet argent canadien pour des billets américains qu’il avait pris avec lui le matin après avoir ressenti qu’il devait le faire. Sœur Soram pourrait ainsi acheter de quoi manger pendant ses escales à Tokyo et à Guam.

Avant d’atteindre la barrière de sécurité, Elder Hunter nous a pris à l’écart et, au milieu de cet aéroport achalandé, il a donné une bénédiction à sœur Soram afin qu’elle voyage en toute sécurité et que tout se passe bien. Nous avons pleuré. Nous lui avons montré le numéro de la porte d’embarquement sur son billet d’avion, nous l’avons assurée que nous tiendrions nos promesses et nous avons remis entre les mains du Seigneur cette petite missionnaire qui baragouinait l’anglais. Elle s’est avancée seule dans la foule de voyageurs, et c’est la dernière fois que nous l’avons vue.
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Touché par la situation difficile de cette sœur missionnaire, Elder Hunter a téléphoné de nouveau à Salt Lake City et a insisté sur la nécessité d’informer toutes les personnes concernées par ce changement d’itinéraire. Ils ont répondu qu’ils s’en occupaient. Pendant la nuit, nous avons suivi le progrès du voyage de sœur Soram, de même que le lendemain et la nuit suivante. L’administration de l’Église nous a finalement informés que les dirigeants de zone de Chuuk étaient allés à sa rencontre à l’aéroport et l’avait conduite à une chapelle où son président de mission l’avait relevée de sa mission honorable par Skype. Un couple missionnaire d’âge mur, qui servait sur une île près de chez elle, a plus tard indiqué que « après avoir été informée du changement de son itinéraire, toute la famille de sœur Soram s’est rendue en bateau pour aller l’accueillir à son arrivée. Ils ont fait ensemble une heure de bateau pour retourner sur leur île. Lorsque sœur Soram est arrivée, elle avait toujours les 40 $ que lui avait donnés un ‘dirigeant inspiré’. Elle a remis cet argent à son père, c’était exactement le montant qu’il avait dû débourser pour l’essence pour l’aller-retour. »

Encore touché par la situation de sœur Soram, Elder Hunter a fait une recherche sur les circonstances de cette jeune fille. Avant de venir en mission, elle n’avait jamais utilisé un four, une cuisinière ou une carte de débit, et elle n’avait jamais mis d’essence dans une voiture. Sœur Soram souffrait de troubles de la vue, tant sur le plan de l’acuité visuelle que de la vision périphérique, et elle devait avoir avec elle une lampe de poche très forte en tout temps pour voir dans l’obscurité. Elle suivait ses compagnes un peu derrière elles pour savoir où aller. Dotée d’un esprit très fort et d’un ferme témoignage de l’évangile, elle était venue dans la mission canadienne de Vancouver malgré les craintes de ses parents et contre l’opinion de son village sur cette île principalement catholique.
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En dépit de ses limites, sœur Soram et ses compagnes ont joué un rôle important dans le baptême de 18 investigateurs. Elle a laissé un souvenir de bonté, non seulement à l’égard de ses compagnes et des investigateurs. Un missionnaire d’âge mûr au bureau de la mission raconte l’expérience suivante : « À Noël, elle n’arrivait pas à joindre ses parents qui s’étaient rendus chez un voisin pour utiliser un téléphone. Après avoir essayé maintes fois sans succès de les joindre, elle a téléphoné au bureau de la mission. Elder Burns et moi avons essayé de l’aider. Nous lui avons suggéré plusieurs codes régionaux, mais ça ne fonctionnait toujours pas. J’ai téléphoné à Chuuk en utilisant le téléphone de la mission, mais comme la famille ne parlait pas anglais, la personne qui répondait raccrochait. Enfin, j’ai téléphoné à sœur Soram avec mon cellulaire et j’ai ensuite utilisé le téléphone de la mission pour composer le numéro où se trouvait sa famille. J’ai tenu les deux téléphones côte à côte pendant 30 minutes pour qu’ils puissent se parler. À un moment donné, sœur Soram et sa compagne, sœur Holbook ont chanté des chants de la Primaire au téléphone. Je ne comprends pas le chuuk (la langue maternelle de sœur Soram), et je ne savais pas ce qu’ils se disaient, mais il se dégageait sans aucun doute, un sentiment d’amour et de bonheur extraordinaire. Elder Burns et moi avions les larmes aux yeux en écoutant ces gens aimants se parler pour la première fois en six mois. C’est un des plus beaux souvenirs de ma mission. »
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Comme elle l’avait fait pendant sa mission, sœur Soram a passé sans très bien le voir le point de contrôle de sécurité achalandé de l’aéroport canadien avec pour toute arme sa foi, sa carte d’embarquement et la promesse que tout irait bien. « Elle n’avait rien à envier à mes ancêtres pionniers, affirme Elder Hunter. Elle est une vraie pionnière pour son village. Sa foi va fortifier l’Église et la faire grandir au Canada et sur l’île de Tonowas pendant bien des années.
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