Suicide : Pensées et réflexions

Suicide : Pensées et réflexions

Pendant les cinq heures de route entre Edmonton et la résidence de mon père à Taber, l’idée m’est venue que Bruce souffrait d’autisme léger. Je connais trois enfants atteints d’autisme et Bruce n’avait pas les symptômes qu’ils affichaient. J’ai donc rejeté entièrement cette notion et j’ai repris mon analyse approfondie des comportements égoïstes, égocentriques et intéressés de mon frère. Quelques heures plus tard sur la route, mon épouse Kim s’est tournée vers moi et a dit : « Bruce souffrait peut-être d’une sorte d’autisme ». J’ai sursauté. Mon frère ne présentait aucun des symptômes de l’autisme, alors j’ai classé la coïncidence qu’elle ait eu la même pensée que moi sous « B » pour bizarre. Par ignorance absurde, j’ai continué à croire avec certitude que tout ce dont Bruce avait besoin c’était de se ressaisir, de prendre ses responsabilités et de cesser de blâmer tout le monde pour ses problèmes.

Mon père m’avait demandé de dire quelques mots, de faire une prière et de consacrer la tombe. Il ne voulait pas de grosses funérailles, et j’espérais que personne ne viendrait aux modestes funérailles que nous avions prévues au cimetière. Jusqu’à ce que cette journée approche, je me disais que tout irait bien. Je n’étais jamais à court de mots, mais voilà que ma langue était comme paralysée. Rien ne me venait en tête. Après bien des efforts infructueux, j’ai décidé de mettre tout ça dans les mains du Seigneur et de le laisser m’inspirer lorsque le moment serait venu. (Pensez-y, moi, plein de suffisance, jugeant mon frère et espérant quand même être inspiré par Dieu.) Lorsque le moment est venu, j’étais plus nerveux que je ne l’aurais cru. Cela ne m’arrive jamais. En marchant dans le cimetière, juste avant d’arriver au lieu de l’enterrement, j’ai arrêté mon cousin Bob et mon oncle George et je leur ai demandé une bénédiction de la prêtrise. J’avais besoin d’une force spirituelle et de sagesse que je ne ressentais tout simplement pas. Bien que je ne me souvienne pas des paroles exactes, je peux dire que c’était une excellente bénédiction et que la nervosité s’est dissipée. Je me suis senti de plus en plus humble. Je suis allé au lieu de la sépulture et j’ai commencé sans hésiter, ne sachant toujours pas quoi dire.

Plus tôt, ma sœur Brenda, beaucoup plus indulgente et humble, m’avait confié qu’elle voulait prononcer quelques mots, alors j’ai commencé en lui donnant la parole, pensant que j’aurais ainsi plus de temps pour réfléchir. Lorsque Brenda a pris la parole, je me suis arrêté de penser. Lorsqu’elle a eu terminé, je savais exactement pourquoi rien ne m’était venu à l’esprit. C’était à elle que toute l’inspiration avait été donnée. Elle s’est exprimée avec beaucoup de tendresse, de sincérité, d’amour et de réconfort. Si les paroles qu’elle a prononcées étaient sorties de ma bouche, elles n’auraient pas été aussi puissantes, ni aussi belles et remarquables.
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Après les commentaires de ma sœur, j’ai joué un pot-pourri à l’harmonica, puis j’ai consacré la sépulture. Enfin, les idées et l’inspiration que j’avais demandées se sont manifestées dans la prière. J’ai dit au Seigneur que nous avions pardonné à Bruce ce qu’il avait fait et j’ai prié pour qu’Il nous pardonne de ne pas avoir fait ce que nous aurions pu faire pour lui. Entre autre, j’ai prié pour que mon frère obtienne dans le monde des esprits « l’aide » dont il avait besoin, mais qu’il n’avait pu trouver ici sur terre.  

Plus tard ce jour-là, lorsque le calme est revenu, j’ai fait une recherche sur l’autisme, toujours convaincu de mes premières impressions. Il était clair que Bruce n’avait aucun des symptômes de l’autisme. Puis, j’ai lu à propos d’une affection semblable appelée le syndrome d’Asperger. J’ai changé l’objet de ma recherche, cliquant sur un site après un autre, surpris par chaque article que je lisais. J’ai commencé à lire une description exacte de mon frère Bruce, une incarnation du syndrome d’Asperger. Soudain, j’ai compris pourquoi l’autisme m’était venu à l’idée. J’avais déjà entendu parler de l’autisme, mais pas du syndrome d’Asperger. En 1944, le Dr Hans Asperger a découvert une maladie caractérisée par un ensemble de symptômes connexes qui apparaissaient toujours ensemble. Portant le nom du médecin qui l’avait découvert, le syndrome d’Asperger est devenu un sous-ensemble du spectre autistique. On aurait pu nommer cette maladie le syndrome de Bruce. J’étais sous le choc. Pour chaque symptôme au sujet duquel je lisais, je devais rétracter toutes les croyances auxquelles je m’étais accroché tout au long de ma vie concernant mon frère. Je commençais à comprendre tous ses traits de caractère et ses comportements particuliers. Je percevais et je comprenais des choses à son sujet que j’avais interprétées comme de l’arrogance, de l’égoïsme, de l’égocentrisme et un manque d’égard. Maintenant, c’est moi qui se sentais arrogant et maladroit. Je m’étais vu au royaume céleste et j’avais placé Bruce dans le royaume téleste. Je remettais maintenant mon propre salut en question. Je n’avais aucune idée que son cerveau fonctionnait tellement différemment du mien, comme si nous parlions deux langages différents.
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Lorsque Dieu dit « Tu ne jugeras point », il est sérieux. Je croyais que « Tu ne jugeras point », ça voulait dire que nous ne devrions pas juger à moins de connaître tous les faits. Ayant côtoyé Bruce pendant 44 ans, j’étais certain d’avoir tous les faits nécessaires pour bien juger sa situation, mais je n’avais pas le fait le plus important. J’en savais moins sur Bruce que j’en connaissais sur la surface du soleil. Seul Dieu sait ce qui se trouve dans le cœur et l’esprit d’une personne.

Je n’excuse pas le geste de mon frère. Je crois qu’il est quand même responsable de son acte, mais à quel point, je n’en ai aucune idée. J’ai huit enfants. Au fur et à mesure qu’ils avancent en âge, ils deviennent de plus en plus responsables. Je n’ai jamais agi avec mon enfant de huit ans comme j’ai agi avec celui qui en a dix-huit. J’attends plus de celui qui a 27 ans que de l’autre qui en a 13. Je n’ai aucune idée de l’âge qu’avait Bruce aux yeux du Seigneur. Je sais aussi que Dieu voyait les intentions réelles de son cœur. Je croyais seulement savoir. Est-ce que Bruce souffrait vraiment de dépression ou était-il atteint du syndrome d’Asperger? Dieu m’a clairement montré que j’ignore complètement ses voies et la façon dont il juge.

Voici une citation souvent utilisée par M. Russell Ballard citant Bruce R. McConkie (un apôtre en citant un autre). Le défunt Elder Bruce R. McConkie, ancien membre du Collège des douze apôtres, a exprimé ce que beaucoup de dirigeants de l’Église ont enseigné : « Le suicide consiste à s’enlever la vie, de son plein gré et intentionnellement, surtout lorsque la personne comprend la portée de son geste et est saine d’esprit […] Une personne affligée d’un grand stress peut perdre le contrôle d’elle-même et son esprit peut s’embrouiller à un point tel qu’elle n’est plus responsable de ses actes. Il ne faut pas la condamner pour s’être enlevé la vie. J’ai le sentiment que lorsqu’il nous jugera, le Seigneur prendra tout en considération, notre constitution génétique et chimique, notre état mental, nos capacités intellectuelles. Il ne faut pas oublier que seul le Seigneur connaît tous les détails et c’est lui qui jugera nos actes ici-bas et, dans sa sagesse infinie, il pardonnera en temps et lieu à qui il voudra. [Traduction] (Mormon Doctrine, Salt Lake City: Bookcraft, 1966, p. 771)

Comme je le disais, le geste qu’a posé Bruce n’était pas correct, mais seulement dans la mesure où il comprenait ce qu’il faisait. Je crois également que le prix qu’il aura à payer sera à la mesure de sa compréhension et de sa capacité. Toutefois, selon ce que j’ai appris concernant le syndrome d’Asperger, je suis certain que le prix ne sera pas aussi élevé que je l’avait d’abord cru.

Enfin, après avoir vérifié auprès des autorités du temple et consulté le manuel de l’Église, nous avons appris, à notre grand soulagement, que nous pouvions organiser des funérailles et que Bruce pouvait être enseveli dans ses vêtements du temple. J’étais reconnaissant pour cette bénédiction. J’étais reconnaissant d’avoir pu habiller mon petit frère pour le jour où il pourra s’élever au-dessus de tout ça, au jour de la résurrection, comme cela lui a été promis dans sa bénédiction patriarcale, s’il se repent. Après avoir lu sa bénédiction patriarcale, je crois que Bruce sera un être remarquable lorsque nous nous reverrons, lorsqu’il aura eu l’occasion de se repentir et de bénéficier du sacrifice expiatoire.
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