Plus un chardon parmi le blé

Plus un chardon parmi le blé

J’étais membre de l’Église depuis presque 10 ans. Bien que j’aie été « inactive » pendant trois ans, revenir à l’église avait été facile, comme si je n’avais jamais cessé d’y aller. J’assistais aux réunions chaque semaine, je remplissais mes appels dans la paroisse, je rendais service autant que me le permettait mon horaire et j’allais régulièrement au temple. J’ai élevé mon fils dans l’Église, j’ai montré par l’exemple à mes filles à aimer leur famille et j’ai même présenté l’Église à ma mère. Qu’est-ce que Père céleste pouvait bien vouloir de plus? Je savais qu’il manquait quelque chose. J’observais d’autres familles de la paroisse et je me demandais comment elles pouvaient avoir tant d’amour dans leur vie. Je me demandais parfois si les choses que j’avais faites dans ma jeunesse ou si ce qui m’était arrivé dans mon enfance pouvait influencer l’amour que mon Sauveur avait pour moi. Comment pouvait-il m’aimer de la même manière qu’il aimait ces membres bons et fidèles qui l’avaient toujours connu et qui avaient appris dès leur naissance qu’ils étaient ses enfants spéciaux, qu’ils avaient été choisis pour faire de bonnes choses. Parfois je me sentais comme un intrus essayant de dérober ma part du gâteau. Je me sentais comme un chardon parmi le blé.

J’imagine que je m’apitoyais un peu sur moi‑même, me rappelant beaucoup de mauvais choix que j’avais faits au cours de ma vie. J’écoutais les membres lorsqu’ils rendaient témoignage et je me disais parfois « Oh! Tu crois que tu as connu de mauvais moments, laisse-moi te raconter mon histoire. » Je ne voulais plus avoir ce genre de pensées alors j’ai demandé à mon Père céleste de m’aider. Environ un mois plus tard, j’ai fait chaque nuit le même rêve inexplicable pendant plus d’une semaine. Je n’arrivais plus à dormir, je ne pouvais en parler à personne. Dans ce rêve, j’étais étendue sur une civière dans le corridor d’un hôpital. Une femme, membre de l’Église, entrait. Je demandais à mon mari qui était à mes côtés de remonter le drap sur moi pour que la femme ne puisse pas me voir. Ce n’était pas un rêve extraordinaire, mais chaque fois que le drap couvrait mon visage, un sentiment de terreur m’envahissait.

Un dimanche de jeûne et témoignage, j’ai prié disant : « Comment puis-je ressentir ton amour comme ces bons membres de l’Église et comment pourrais-tu aimer quelqu’un comme moi? » J’avais peur que peu importe ce que je faisais je n’arriverais jamais au royaume céleste et que je resterais dans les ténèbres. Puis, un missionnaire d’âge mûr en visite s’est levé pour rendre son témoignage. Il a parlé d’une famille en partie membre de l’Église qui avait besoin de nos prières, la femme dans mon rêve et son mari. Je connaissais la femme et ses trois filles, mais je n’avais jamais rencontré le père qui n’était pas membre. Ce dernier était très malade et recevais une dialyse chaque jour. Il avait besoin d’un rein. Je ne peux pas expliquer le sentiment que j’ai ressenti. J’ai entendu ces paroles comme si elles étaient murmurées à mon oreille : « il a besoin de ton rein ». Plus tard ce jour-là, j’ai raconté à mon mari toutes les choses qui m’étaient arrivées. Il a probablement pensé que je devenais folle, mais il a accepté de m’appuyer pendant que je réfléchissais à tout ça. Je ne connaissais absolument rien du don d’organe. Je n’avais jamais rencontré qui que ce soit qui avait fait don de leur rein. J’ai téléphoné pour obtenir de l’information. On m’a demandé si je connaissais la personne qui recevrait le rein ou si c’était un parent, à quel endroit il recevait ses traitements et si je connaissais mon groupe sanguin et son nom.
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Le missionnaire d’âge mûr m’a aidé à obtenir l’information requise. J’ai appelé le centre et je leur ai dit que je ne voulais pas que la famille soit mise au courant de mes démarches, mais au Canada ce n’est pas permis. On m’a dit qu’on pouvait vérifier si mon groupe sanguin correspondait au sien, mais qu’ensuite je devais obtenir la permission du bénéficiaire avant de pouvoir procéder à d’autres tests. Plus on me demandait si j’étais certaine de vouloir aller de l’avant, plus je ressentais fortement que c’était ce que je devais faire. J’ai appris que mon groupe sanguin n’était pas le même que celui du bénéficiaire, mais pour une raison quelconque les deux groupes sanguins étaient compatibles.

Mon mari a demandé au missionnaire d’âge mûr d’aider à expliquer mes intentions au bénéficiaire et de lui demander sa permission. Il a pris le rendez‑vous. Mon mari et moi n’avons parlé que de ça et nous avons prié uniquement à ce sujet pendant que nous attendions. Je me suis préparée à défendre mon point de vue auprès de la famille, à insister pour qu’elle me laisse faire ce don. Assis dans leur maison, nous avons parlé de l’Église et de la foi. Le missionnaire a dit que j’avais quelque chose à demander au mari. Je sentais une main sur mon bras lorsque j’ai commencé à parler. J’ai expliqué ce que j’avais déjà fait et je lui ai demandé la permission de poursuivre les tests afin de voir si je pouvais lui faire don de mon rein. Après quelques minutes de silence, il a accepté. Le missionnaire a donné à chacun de nous quatre une bénédiction dans lesquelles il a parlé d’anges, de foi et des bonnes choses à venir. Nous avons convenu de ne parler de rien jusqu’à ce que nous en sachions plus.

Les tests ont été effectués entre mars et juin. On me demandait souvent « pourquoi » et je devais répéter que personne ne m’obligeait à faire ce don. Je demandais sans cesse à Père céleste « Comment puis-je expliquer à ces gens que c’est par toi que je sais que c’est ce que je suis supposée faire? ». Les résultats de certains tests n’étaient pas aussi bons que ce à quoi on s’attend habituellement pour qu’une greffe réussisse. Je leur ai dit que je n’avais aucun doute que tout irait bien. Enfin, j’ai rencontré mon chirurgien. Selon lui, cette chirurgie devait être facile puisque par miracle les vaisseaux attachés à mes reins étaient un peu plus longs qu’ils ne le sont normalement et il aurait ainsi plus qu’il ne lui en fallait pour prendre tout ce dont il avait besoin.

Vous vous demandez peut-être où était l’opposition pendant tout ce temps. Ne soyez pas inquiets, je n’ai pas entièrement échappée à son attention. En 2002, de mars à juillet, Toronto était assailli par l’épidémie de SRAS. Aucune visite n’était permise dans les hôpitaux et les personnes qui devaient se rendre à l’hôpital devaient passer par un processus de stérilisation, répondre à de nombreuses questions et faire l’objet de nombreux examens avant de pouvoir passer le corridor. J’étais à l’hôpital pour une épreuve d’effort lorsque l’hôpital a émis une alerte au SRAS. On m’a dit que si la personne qui devait recevoir mon rein n’était pas dans ce même hôpital au même moment, le don d’organe ne pouvait pas aller plus loin. Revenue à la maison, j’ai téléphoné et on m’a dit que nous étions tous les deux à ce même hôpital exactement en même temps.

J’ai été chanceuse de ne pas être malade cette année-là. Lorsque j’ai parlé du don que je voulais faire à mes filles non membres, elles ont posé des questions, mais elles m’ont appuyée. Une semaine avant l’opération, mon chirurgien a refusé de faire la transplantation à cause de l’épidémie de SRAS. Heureusement, le Sauveur est intervenu et le chef du département de chirurgie a examiné le dossier et elle a décidé de procéder elle‑même à l’opération.

Le dimanche avant l’opération, j’ai demandé aux membres de la paroisse de prier pour moi et pour la personne qui recevait mon rein. Beaucoup de personnes disaient qu’elles ne pourraient jamais faire ce que je faisais. Je leur ai répondu qu’on ne sait pas ce que notre Sauveur nous demandera jusqu’à ce qu’il le demande, e que lorsqu’on l’entend, on fait ce qu’il nous demande. Plus tard ce jour‑là, j’ai reçu une bénédiction de la prêtrise dans laquelle on m’assurait que tout irait comme prévu et même mieux. Ces détenteurs de la prêtrise ont également donné une bénédiction tout aussi rassurante à celui qui allait recevoir mon rein.

Je suis entrée en chirurgie certaine que tout irait bien. Je n’ai pas été surprise lorsque les chirurgiens nous ont dit que la transplantation était terminée et que tout avait bien été. J’ai remercié mon Sauveur d’avoir guidé les mains de ceux qui procédaient à l’opération. Le lendemain, mon mari m’a conduite en fauteuil roulant auprès de la personne qui avait maintenant mon rein. J’ai été surprise de le voir assis près de son lit en train de souper.

Le dimanche suivant, à la réunion de Sainte cène je me suis assise complètement à l’arrière de la salle avec ma famille. L’évêque s’est levé pour annoncer les résultats de la chirurgie, puis il m’a vue. Je crois que s’il l’avait pu, il serait venu vers moi à ce moment même, mais il a dit à la congrégation que tout allait bien puisque j’étais assise à l’arrière de la salle.

Je sais maintenant que le Seigneur m’aime autant qu’il aime les personnes qui ont toujours été membres de son Église. Je ne me considère plus comme un chardon parmi le blé. Je sais que dans le monde prémortel, le Seigneur m’avait choisie pour faire ce don.
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