Kushal s’en vient

Kushal s’en vient

Je n’avais pas vraiment porté attention au temps qu’il faisait si ce n’est que j’étais reconnaissante que les prières des gens pour qu’il pleuve enfin semblaient avoir été répondues. Je n’avais pas entendu ni remarqué la chute de trois arbres de mon immeuble à logements, j’étais dans ma bulle dans ma cuisine en train de préparer des rafraichissements pour le baptême de Kushal. Selon les informations nationales, une panne de courant touchait environ 500 000 foyers du Lower Mainland depuis peu avant midi. C’est à ce moment que nous avons perdu les services d’aqueduc. Sans eau ni électricité, je me suis installée sur le divan et j’ai attendu. Ma plus grande crainte était que Kushal, un hindou de naissance, puisse croire que l’orage était un signe qu’il ne devait pas se faire baptiser.

Trois heures avant le baptême, j’ai reçu un appel des dirigeants de zone, les missionnaires qui devaient remplir les fonts baptismaux. Les interruptions de service touchaient toutes les régions, y compris le secteur où se trouvait la chapelle, il était donc impossible de remplir les fonts baptismaux ou d’éclairer la pièce. Kushal avait commencé à rencontrer les missionnaires six mois plus tôt. Elder Green et Elder Hall avaient été transférés au moins six semaines plus tôt, alors Elder Kelly et Elder Reynolds avaient pris la relève. Quant à lui, Kushal voulait être baptisé plus tôt, mais les difficultés linguistiques et les différences culturelles étaient de gros obstacles à la compréhension de base nécessaire pour contracter cette alliance sacrée. Le conseil de paroisse a jeûné pour Kushal. Les missionnaires ont été persistants. Kushal a persévéré. Et maintenant, c’était le jour de son baptême et un gros orage déferlait dans les rues, mais les fonts baptismaux ne se remplissaient pas. Une atmosphère de crainte s’installa à l’intérieur, la crainte de devoir reporter le baptême.

Les vents les plus destructeurs se sont calmés, mais la pluie continuait de tomber en rafale dans les rues emportant des branches cassées, les équipes de nettoyage étaient trempées, mais cela ne les arrêtait pas. Vers 13 h 30, une autre équipe de missionnaires de l’autre bout de la ville a commencé à remplir les fonts baptismaux à la seule autre chapelle SDJ de Surrey, par miracle le seul immeuble où il y avait du courant dans ce secteur. Le baptême était encore prévu pour 15 h. Elder Hunter et moi‑même devions passer prendre Kushal et l’emmener à cette autre chapelle pour 14 h. Des arbres et des débris jonchaient les rues et des files d’automobilistes impatients avançaient à la queue leu leu aux intersections où les feux de circulation ne fonctionnaient plus. Nous avons pris une rue secondaire et nous avons pu nous rendre jusqu’à l’appartement de Kushal. Nous avons croisé les doigts, espérant que le violent orage n’ait pas freiné son enthousiasme. Lorsqu’il est monté dans le siège arrière et qu’il a fermé la portière de la voiture, nerveusement j’ai marmonné quelque chose au sujet des événements de la matinée. De sa douce voix marquée d’un fort accent des Indes orientales, il s’est exclamé : « Tout est en marche aujourd’hui parce que Dieu est si enthousiaste, Dieu dit, ‘Kushal s’en vient, Kushal s’en vient’ » . J’étais humblement surprise par sa vision si pure, les yeux remplis de larmes.
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Kushal souriait pendant toute la cérémonie malgré le fait que personne de sa famille ne pouvait être là, seuls étaient présents une dizaine de missionnaires et les dirigeants de la paroisse de Delta. Humblement et gentiment, il s’inclinait et saluait tout le monde selon la tradition de son pays. Plusieurs personnes se sont réunies autour des fonts baptismaux remplis d’eau chaude, et Kushal a accepté l’alliance et est entré doucement sous l’eau et en est ressorti un homme nouveau, de toute évidence reconnaissant.

J’ai entendu les paroles de l’hymne de clôture « Je veux que ma vie soit comme le ciel après la pluie… Pour être plus semblable à Dieu et vivre auprès de lui » . Je songeais à l’orage à l’extérieur, au bois mort emporté par le vent, aux branches trop lourdes tombées et aux arbres aux racines peu profondes couchés au sol, aux commodités merveilleuses, mais non essentielles que nous avions perdues pour quelque temps et à la reconnaissance que nous ressentions pour la puissance et la sagesse de Dieu. Je réfléchissais à la similitude entre nos alliances du baptême et le parcours plein d’espoir que nous empruntons comme membres de l’Église de Jésus‑Christ des Saints des Derniers Jours, à la façon dont certains membres sont emportés par les tempêtes de la vie alors qu’elles en renforcent d’autres. Nous avons offert nos félicitations et pris quelques rafraichissement avant de se dire au revoir jusqu’à la confirmation qui devait avoir lieu le dimanche matin suivant.
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Le courant est revenu dans quelques secteurs de la ville juste avant notre réunion de Sainte Cène du dimanche matin à 9 h, mais pas dans celui de notre chapelle. L’épiscopat a annulé la réunion du conseil de paroisse de 7 h, mais a fait appel aux jeunes missionnaires pour qu’ils viennent placer des chaises dans la salle de la Société de Secours, la seule pièce éclairée. À l’extérieur, s œ ur Holbrook et s œ ur Gregory tenaient la porte avant ouverte et accueillaient les membres sceptiques de la paroisse dans la chapelle obscure et les dirigeaient au‑delà d’une alarme de sécurité bruyante le long du corridor non éclairé vers le petit rai de lumière provenant de la salle de la Société de Secours à l’arrière de la chapelle.
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Les détenteurs de la prêtrise d’Aaron ont fini de préparer la Sainte Cène sur une petite table utilisée normalement pour les salles de classe. Le deuxième conseiller de l’évêque a placé un podium portable sur une autre table à côté de celle utilisée pour la Sainte Cène pendant que prudemment des membres de la paroisse entraient dans la salle. Notre luxueuse chapelle demeurait obscure et vide alors que dans la salle de la Société de Secours deux grandes fenêtres à l’est laissaient entrer la lumière dans la pièce illuminée par les sourires de la congrégation. Nous avons pris place, bien serrés les uns contre les autres sans aucun banc pour nous séparer, une première depuis mon arrivée dans cette paroisse. Même les chaises placées jusque dans la cuisine étaient toutes occupées et il y avait encore des gens debout. L’évêque Teixeira a demandé à la congrégation d’éviter les conversations bruyantes afin de maintenir le caractère sacré de la réunion. Nous cherchions Kushal dans la foule. Il n’était toujours pas arrivé lorsque la réunion a commencé à 9 h. Nous nous demandions s’il allait venir. Chacun de nous priait pour qu’il vienne à la réunion. Au début du service, frère Santos a parlé de la nature inhabituelle de la situation et a dit que cela lui rappelait son enfance aux Philippines où les pannes d’électricité étaient à tout le moins courantes. Il devait élever la voix, normalement basse, pour que les membres assis dans la cuisine puissent l’entendre.
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Nous avons chanté le cantique d’ouverture La prière est comme un phare. Les paroles semblaient appropriées pour notre situation. « La prière est comme un phare transformant la nuit en jour. Si la vie te désempare, viens à Dieu toujours ». Nous nous étions certainement sentis désemparés au cours de la journée et de la nuit précédentes, et nous avions tous prié pour que le courant soit rétabli afin que Kushal puisse être confirmé membre de l’Église. Juste après le cantique d’ouverture, Kushal et frère Prasad, le dirigeant du groupe des grands prêtres sont arrivés et ont pris place sur les deux chaises vides dans la première rangée, placées à peine à un mètre de la table de la Sainte Cène, des détenteurs de la prêtrise, des diacres et de la congrégation. Frère Prasad est aussi originaire de l’Inde de l’Est et a immigré de Fidji il y a quelques années après être devenu membre de l’Église alors qu’il était tout jeune. Il parle hindi. L’évêque Teixeira a demandé à Kushal, aux missionnaires et aux membres qui avaient enseigné Kushal de venir en avant pour participer à l’ordonnance de la confirmation et du don du Saint-Esprit. Kushal s’est assis sur une chaise faisant face aux membres de la paroisse assis en demi‑cercle dans la salle bondée. Les détenteurs de la prêtrise de Melchisédek ont placé leur main sur la tête de Kushal. Frère Prasad a commencé l’ordonnance en anglais, mais après avoir dit les mots « reçoit le Saint-Esprit », il a continué à parler en hindi afin que Kushal puisse bien comprendre la bénédiction et les conseils qu’il prononçait. Les membres écoutaient, confiants que, grâce à l’amour et à la force de frère Prasad et du Sauveur, le message nécessaire serait transmis.

Kushal était venu. Les membres de la paroisse Delta, réunis dans la semi-obscurité d’un ciel lourd et gris, l’avaient accueilli. En levant la main, chaque membre avait accepté la responsabilité d’accueillir Kushal dans sa vie, de lui témoigner son amour et sa foi. On ressentait que tout cela était concret et personnel, assis si près les uns des autres dans ces circonstances inhabituelles, chacun conscient que la situation était différente et chérissant ce moment. Les diacres ont passé la Sainte Cène à une congrégation silencieuse et attentive. Pour la première fois, Kushal a pris le pain et l’eau en tant que membre de l’Église. La réunion a suivi son cours avec des discours attribués des semaines plus tôt. Il n’y avait pas de haut podium, pas d’espace entre l’orateur et l’auditoire. Nous nous sommes tous penchés un peu pour entendre leur message. L’évêque Teixeira s’est levé et nous a confié que l’épiscopat avait décidé que peu importe les circonstances, cette réunion devait avoir lieu afin que Kushal puisse être confirmé membre à part entière de l’Église de Jésus‑Christ des Saints des Derniers Jours.
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Nous avons terminé la réunion en chantant « Venez, venez, sans craindre le devoir, travailler au progrès…Venez joyeux, ne craignez rien, tout est bien, tout est bien ». Et en fait, tout était bien en ce dimanche, merveilleux jour de Sabbat. Nous étions remplis de lumière et de joie, car Kushal était venu, et c’est bien, et c’est bien.